Par Grégoire BOUTIGNON, responsable du pôle énergie de Cartes sur table

 

A l »occasion de la 4e édition des Mardis de l »Avenir à l »Hôtel de Lassay, consacrée à l »urgence européenne, Grégoire BOUTIGNON défend une ambition nouvelle pour l »Europe de l »Energie. Il présente les instruments originaux qui pourraient permettre aux citoyens de l »Union de se sentir à nouveau européens en participant à la révolution de la transition énergétique à l »échelle européenne.

 

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Malgré plusieurs rappels à la réalité, l’Europe reste aujourd’hui le terrain de toutes les ambitions pour la génération que représente Cartes Sur Table. Il suffit d’en évoquer le nom, pour que nous nous rappelions tout l’entrain et l’optimisme avec lequel nos professeurs nous ont transmis les valeurs et les espoirs de cette union qui s’est affirmée comme un acteur mondial incontournable dans les années 90 alors que nous n’avions pas encore mis les pieds dans le monde des adultes.

Nous avons grandi avec le référendum sur les accords de Maastricht, les discussions sur l’ECU, la mise en place de l’Espace Schengen, un drapeau qui contenait autant d’étoiles que de pays, la mise en place de l’Euro et le terrible échec de l’instauration d’une constitution. Aujourd’hui, cet élan semble être brisé, et nous le regrettons car nous avons vu l’Histoire en marche, et nous la voyons actuellement trébucher.

Parallèlement à cela, nous représentons une génération qui a également grandi avec la prise de conscience progressive de l’emprunte environnementale grandissante de notre civilisation, et dans une immense majorité, aimerions « changer les choses » pour cesser d’abîmer notre planète.

Aujourd’hui, il existe une occasion rêvée de répondre à ces deux frustrations par l’intermédiaire d’une nouvelle ambition : créer une Europe de l’Energie. Cela signifierait avant tout accorder nos objectifs pour se lancer dans la transition énergétique, travailler ensemble sur notre rapport quotidien à la consommation, partager nos projets responsables, profiter de la richissime diversité naturelle qu’offre le continent pour harmoniser notre production d’énergie renouvelable. Cela signifierait surtout se sentir de nouveau européen en participant à cette révolution dont nous avons tous besoin, dont beaucoup ont envie, et qui permettrait à l’Europe de s’affirmer en précurseur du monde de demain.

 

LES ECHELLES DE DECISION

 

En matière d’énergie, les politiques ont toutes une échelle pertinente d’action, locale, nationale, ou internationale. Aujourd’hui, une commune décide de sa politique de traitement et de revalorisation des déchets, le pays décide de son mix, et le monde tente de s’accorder pour stopper le réchauffement climatique. L’envie d’Europe que nous partageons n’est pas le souhait d’une réduction de l’ensemble de ces échelles à une seule continentale, mais un appel à trouver la juste place de l’Union Européenne, aussi ambitieuse soit elle, dans la complexité des problématiques à traiter.

Cartes sur Table avait à ce titre avancé 3 propositions en 2013 correspondant à 3 échelles différentes d’action : la création d’un gestionnaire européen unique du réseau électrique, la création d’un tiers payant environnemental financé par la Banque publique d’investissement (BPI), et enfin une autonomie agrandie des régions sur leur politique énergétique par l’intermédiaire de régies.

Nous considérons que certaines problématiques doivent absolument rester du ressort local pour être traitées efficacement. La démarche de 3ème Révolution industrielle dans le Nord-Pas-de-Calais a montré combien des initiatives locales de coordination permettent d’augmenter l’efficacité énergétique de l’activité d’une région et suscitent un réel engouement de la part des citoyens et des chefs d’entreprise, notamment pour ce qui concerne la logistique et l’acheminement des marchandises sur les derniers kilomètres.

Il faut même aller plus loin et envisager de redonner de l’autonomie locale en matière d’énergie. Par exemple, donner la possibilité à des habitants d’une région de consommer de l’énergie labélisée locale et verte, moyennant un léger surcoût de l’abonnement et une transparence totale sur la provenance de cette énergie (type d’énergie, emplois crées, bilan carbone, etc.).

Certaines politiques doivent par ailleurs rester dans le domaine de compétence national, à l’image de la définition des trajectoires de transition énergétique, de la gestion des compétences spécifiques, et des sujets d’aménagement du territoire comme la structuration du réseau de grand débit (les autoroutes énergétiques) ou les problématiques de stockage de déchet nucléaire (pour la France en particulier).

Mais c’est à l’échelle de l’Europe que le champ des possibles reste le plus grand et où quasiment tout reste à faire.

 

QUELLE PLACE POUR L’EUROPE ?

 

Les tentatives de négociation internationale de ces dernières années se sont soldées par des échecs. Il est aujourd’hui vain d’espérer que des actions pourront être menées par cette méthode. Nous avons la conviction que l’action internationale de la France doit se concentrer sur l’Europe car les nations qui la composent ont des intérêts et des préoccupations beaucoup plus convergents, en partie car ils doivent faire face au risque d’une dépendance croissante vis-à-vis du reste du monde.

Il est raisonnable d’espérer que le sommet européen du mois de mars sur l’énergie aboutira sur des avancées. Nous souhaiterions cependant aller encore plus loin et organiser de manière régulière des sommets plus larges à destination de la société civile européenne, tous 4 ans par exemple.

Nous proposons dans ce cadre d’organiser un référendum européen sur l’avenir énergétique de l’Union. Il aurait pour objectif de donner à des sommets réguliers une assise populaire et incontestable pour afficher des ambitions fortes. Pourraient être soumises aux citoyens européens lors de ce référendum tout ou partie des propositions suivantes :

  • Définir la transition énergétique comme le premier projet politique commun de l’Union européenne.
  • Définir un mix énergétique européen qui permette de prendre en compte des disparités dans sa déclinaison pays par pays, mais qui tende à rendre l’Europe de moins en moins polluante dans sa globalité.
  • Créer un ministère européen de la transition énergétique.
  • Transférer les impôts nationaux à vocation écologique au niveau européen.
  • Optimiser de manière globale la consommation et le transport d’énergie. Pour la composante électrique, créer un gestionnaire de réseau européen permettrait d’atteindre ce but, mais le raisonnement est prolongeable à tout type d’énergie. La production d’énergies renouvelables (ENR) implique notamment de transporter massivement dans un réseau structurant l’énergie produite en excès dans les régions ensoleillées ou venteuses vers des régions à mois fort potentiel d’énergies renouvelables.
  • Engager une démarche de 3ème Révolution Industrielle au niveau de l’Europe. La méthode déjà éprouvée à plusieurs échelles (ville, région, Etat) prendrait alors une nouvelle dimension. La commission européenne s’y était engagée discrètement en 2005, il faut désormais passer à la pratique.
  • Définir une position européenne pour peser dans les négociations internationales.
  • Créer une filière européenne sur la transition énergétique, et la valoriser auprès des jeunes générations. Le potentiel économique de la transition est gigantesque, peu de filières peuvent se vanter d’avoir un avenir aussi sûr et prometteur.

 

MARQUER LES ESPRITS DÈS AUJOURD’HUI

 

Réussir la transition énergétique passe inévitablement par une prise de conscience collective de la nécessité de s’engager vers des ruptures fortes dans l’organisation de nos sociétés. Ces mêmes sociétés démontrent tous les jours la puissance mobilisatrice dont elles sont capables pour partager des émotions ou des idées par l’intermédiaire des réseaux sociaux, mais aussi des usages plus classiques d’internet. Depuis l’organisation de flash mob jusqu’aux mobilisations de masse, cette capacité agit comme une lame de fond, inarrêtable lorsqu’elle est mise en route. C’est ce qu’il faut savoir provoquer maintenant en Europe pour la transition énergétique.

L’étincelle qui permettra cet engagement peut venir de l’organisation d’évènements similaires à la fête de la Musique ou des Nuits Blanches à l’échelle européenne. Nous proposons donc la tenue annuelle d’une Journée européenne pour l’énergie, médiatisée à la manière d’un téléthon ou d’un sidaction européen, lors de laquelle seraient présentées les initiatives à succès, les projets locaux, régionaux et internationaux, retransmises des conférences d’acteurs internationaux, et qui permettrait à la volonté mobilisatrice de l’Europe de prendre corps.

Il est aussi possible de s’inspirer du programme Erasmus, qui est une des actions concrètes de l’Europe qui a le plus contribué au sentiment européen auprès des jeunes générations. On peut ainsi dans un premier temps imaginer un renforcement du programme pour la formation dans le domaine énergétique, notamment en augmentant les bourses, puis ensuite homogénéiser les stages ou projets collectifs étudiants afin de favoriser la constitution de groupes internationaux dont les meilleurs résultats seraient présentés lors de la Journée pour l’énergie.

On pourrait enfin également imaginer d’élargir le principe du Volontariat International en Entreprise (VIE) à tous les pays dans le domaine de l’énergie.

 

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L’Europe n’est pas le seul champ où la transition énergétique doit se décider, mais c’est celui qui est le plus porteur d’espoir dans une Union en mal d’ambition collective. Les jeunes générations montrent régulièrement leur capacité d’engagement et leur besoin d’agir de manière collective. Une nouvelle Europe de l’Energie leur donnerait cette possibilité, les graines sont en terre, il ne reste plus qu’à arroser !

 

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Retrouver les 24 propositions de Cartes sur table pour la transition énergétique (septembre 2013).

Lire la tribune « La transition énergétique a un coût. Mais ne pas agir coûterait encor plus cher ! » (Le Monde, septembre 2013)

Lire la tribune « Et si l »on recommençait par l »Europe de l »énergie ? » (Le Monde, février 2013)