Par Clémentine Métenier. A l’occasion de la campagne présidentielle américaine, Cartes sur table publie une série d’articles de Clémentine Métenier, étudiante en journalisme à l’IEP de Grenoble actuellement aux Etats-Unis. Ces articles interrogent l’engagement politique des jeunes sur les campus américains au regard de celui d’une étudiante française qui s’est passionnée, avant de traverser l’Atlantique, pour le duel François Hollande – Nicolas Sarkozy.
Troisième épisode (20 nov 2012)
Jour d’élections : voter pour le Président et au-delà
Un jour d’élection présidentielle aux Etats-Unis, ça ressemble à quoi ? En début d’après-midi le mardi 6 novembre 2012, je suis partie à la rencontre des citoyens américains de Morgantown (West Virginia), à la sortie des bureaux de vote. Quatre ans après sa première élection, le bilan du Président sortant Barack Obama reste contrasté. Pour cette femme âgée d’une cinquantaine d’années, « Obama a fait de grandes choses comme la réforme de la santé mais il a été perpétuellement bloqué par le Congrès pour pouvoir vraiment avancer ». Quant à ce jeune trentenaire, il n’approuve en rien l’action du Président : « Obama ? Je ne l’aime pas. Je pense qu’il n’a absolument rien fait. Ici en West Virginie l’industrie du charbon est tout ce qu’on a et il est sur le point de vouloir fermer toutes les usines… sans parler de la dette qui a doublé en quatre ans ». Ils sont cependant tous d’accord sur une chose : l’acte de voter est essentiel. Pour ce vieil homme noir, « tout le monde devrait voter pour choisir qui on veut voir à la tête de notre pays ». Michael vient de voter pour la première fois : « Je me sens bien, c’est un processus facile finalement. Néanmoins je me rends compte que les gens votent plus pour la personne en elle-même que pour les valeurs et idées que porte le parti ».
A 19h30, heure de fermeture du bureau de vote, je rencontre Chris Kennedy, un volontaire (« poll worker ») qui a donné de son temps à l’un des dix bureaux de vote de Morgantown. Son travail ? Aider les personnes à voter sur les machines électorales. « Ce sont des écrans tactiles sur lequel les citoyens choisissent les candidats pour lesquels ils souhaitent voter. Un logiciel collecte les données sur un ordinateur et les transmet ensuite à un centre ». Même si Chris constate que plus de personnes sont venues voter que d’habitude (élections présidentielles obligent), il se réjouit du succès du vote anticipé (« early voting »), plus efficace encore qu’en 2008. Cette année, sur les 200 millions d’électeurs américains, plus de 30% ont voté avant le jour officiel des élections. Comme Chris, beaucoup s’accordent à dire que « c’est bien pratique et cela encourage ceux qui n’auraient pas pu venir aujourd’hui à cause de leur travail, leurs enfants… »
Le vote des électeurs n’est toutefois que la première étape du processus électoral américain. En effet, il est bien différent du système français en ce qu’il est indirect. Les citoyens ne votent pas directement pour leur candidat favori mais désignent un groupe de 538 grands électeurs qui composent le Collège électoral qui élira le Président et le Vice-président, symboliquement parlant. Le candidat vainqueur est donc d’emblée celui qui obtient la majorité absolue, soit 270 voix. Chaque Etat est doté d’un nombre de grands électeurs égal au nombre de ses représentants au Congrès. La Californie, l’Etat le plus peuplé des Etats-Unis, compte ainsi 55 grands électeurs tandis que l’Alaska, le moins peuplé, n’en compte que trois. Ce système ne contient aucune dose de proportionnelle car le candidat qui remporte la majorité des suffrages est représenté par tous les grands électeurs et c’est pourquoi, vu d’Europe, il est souvent considéré comme injuste : un candidat peut en effet remporter un Etat, et l’élection, même s’il n’obtient pas la majorité des votes des électeurs. Ce qui a été le cas lors de l’élection de G.W. Bush en 2000 face à Al Gore et ce qui explique que les « Swing States » (Etats clés), susceptibles de faire basculer l’élection quand bien même il n’y aurait qu’une seule voix d’écart, sont l’objet de tant d’attention.
En ce jour d’élection présidentielle, les citoyens ne votent cependant pas seulement pour le futur résident de la Maison blanche. Ils doivent également choisir le gouverneur de leur Etat, le ministre des Affaires étrangères, le Trésorier, le Commissaire aux comptes, les Représentants à la Chambre, ainsi que les mêmes représentants à l’échelle locale… « Cela peut sembler complexe mais les votants choisissent tous les candidats en fonction de leur affiliation partisane » souligne Chris.
A l’heure des résultats, les Jeunes Démocrates sont tous réunis dans un bar pour suivre les annonces minute par minute. L’atmosphère reste très tendue jusqu’au résultat fatidique de la Californie, qu’Obama remporte avec 55% des votes. Et l’excitation est à son comble lorsque, sur l’écran, la Virginie passe du jaune (attente des résultats) au bleu (démocrate). « Maintenant plus de doute, Barack Obama va gagner l’élection » se réjouit Kayli. L’allégresse est générale : « c’est la première fois de ma vie que je suis fière d’être Américaine » me confie Samantha, membre active des Jeunes Démocrates.
Mais si la réélection d’Obama est un grand moment, la soirée de ces jeunes Américains est marquée par deux votes très symboliques. Le Colorado vient en effet de devenir le premier Etat à légaliser la vente et la consommation de cannabis pour un usage récréatif et non plus seulement médical. Pour James, consommateur régulier, les Américains ont « enfin fait un bon choix ! Je suis prêt à faire mes bagages demain pour aller vivre dans le Colorado. » Pour Samuel et Benjamin, la grande nouvelle de ce soir est la légalisation du mariage homosexuel dans les Etats du Maine et de Maryland. Dans le même temps, la démocrate Tammy Baldwin devient la première sénatrice gay des Etats-Unis. J’aperçois des larmes de joie : « Merci à nous tous ! » clament Colin Shock, le Vice-président des Jeunes Démocrates.
Deuxième épisode (22 oct 2012)
D’un débat à l’autre
« Cette fois, il a réussi ! » [This time, he did it !]. C’est la première réaction des Jeunes Démocrates à propos de Barack Obama, après le second débat présidentiel (15 octobre 2012). A première vue, il semble en effet l’avoir gagné haut la main face au Gouverneur Mitt Romney. Les chiffres et commentaires viendront d’ailleurs confirmer ce sentiment général. Pour cette troisième et avant-dernière joute verbale de la campagne, la forme est différente puisque les candidats interagissent avec des citoyens indécis sur leur choix de vote. La règle est stricte : ils ont deux minutes pour répondre à leur question. Strict est un mot faible car aux Etats-Unis on ne plaisante pas avec la règle ; en préambule du débat, un « memorandum of understanding » d’une vingtaine de pages a été publié. En effet le moindre détail concernant les campagnes des candidats a fait l’objet d’un accord entre les deux protagonistes. Un exemple tout à fait exotique pour nous autres Français : il est précisé la manière dont le modérateur doit s’adresser à chacun des candidats : « Mr. President » ou « Président Obama » et rien d’autre…
Je suis surprise, encore une fois, de voir à quel point ces étudiants pro-démocrates, que je rencontre ici ou ailleurs, sont impliqués dans la campagne, intellectuellement parlant. Prenons le thème des impôts, qui a dominé le premier débat. Pour ceux qui voteront pour le Président sortant, la divergence entre les deux partis est simple : B. Obama a une vision à plus long terme, consistant à augmenter les impôts pour réduire le déficit du pays (qui s’élève actuellement à 973 milliards de dollars). Alex, jeune diplômé féru de politique, ne comprend toujours pas la position républicaine : « comment peut-on songer une seule seconde à baisser les impôts dans un pays qui fait face à un tel déficit ? » Quant à M. Romney, il fait passer un message que les Américains souhaitent entendre ; celui de baisser le taux d’imposition, sans dire explicitement quelles coupes budgétaires il devra faire pour récupérer de l’argent. Comme pour le débat entre N. Sarkozy et F. Hollande le 2 mai dernier en France, la bataille des chiffres a dominé la discussion, rendant le tout peu constructif.
Cette fois-ci néanmoins, le débat a plu aux étudiants. Pour les échanges vifs entre les deux candidats et la bonne prestation de B. Obama. Etonnamment, son point fort n’est pas le même pour eux que celui énoncé dans les médias depuis hier soir. Bien que sa répartie ait été parfaite sur la question de la Libye, c’est surtout par la comparaison entre George Bush et Mitt Romney qu’Obama s’est démarqué : « Il y a des différences entre le gouverneur Romney et George Bush, mais elles ne portent pas sur la politique économique. »
Regarder ce débat entre étudiants, c’est être ensemble sans vraiment l’être. Chacun est scotché sur son I-phone pour suivre les actualités sur Twitter et écrire des tweets comme par exemple : « sois gentil Romney, arrête d’interrompre la modératrice comme lors du premier débat ». Les sollicitations sont multiples pour moi aussi.
Je suis sans cesse questionnée sur le modèle français et la forme de nos débats politiques. En effet, les campagnes américaines et françaises montrent des différences sensibles, tant sur le fond que sur la forme. Sur le fond, on ne verrait jamais en France de questions comme celle posée aux vice-présidents, jeudi dernier (10 octobre 2012) : « quel rôle la religion a-t-elle joué dans votre parcours politique ? ». Sur la forme, les pratiques reposent essentiellement sur Internet et les médias sociaux. En témoigne le google bombing (ou « bombardement de Google ») qui consiste à influencer les résultats d’une référence sur le moteur de recherche Google. Tapez « completely wrong » sur Google et vous verrez les résultats proposés. On ne peut donc pas comparer le système politique français et celui des Etats-Unis sans prendre en compte leurs disparités, qui reposent essentiellement sur une vision différente du « vivre ensemble ».
Premier épisode (6 oct 2012)
From Here to There : regard d’une étudiante française sur un campus américain en temps d’élections présidentielles
Le 6 septembre dernier, une trentaine d’étudiants américains, ouvertement démocrates, de l’Université de West Virginie (Morgantown) étaient réunis pour regarder en direct le discours du Président Obama, lors de la Convention Démocrate à Charlotte (Caroline du Nord). Ils font partie des 35,7 millions d’Américains qui suivent la soirée. Malgré le brouhaha ambiant, la télévision n’est pas allumée en bruit de fond comme la plupart du temps dans les maisons étudiantes. Le grand écran, ce soir là, joue parfaitement son rôle de média. En effet, l’apparition du Président des Etats-Unis à la télévision est cruciale pour ces jeunes de 18 à 22 ans investis dans l’organisation des Jeunes Démocrates [Young Democrats] de l’Université. Je constate avec surprise leur engouement, voire même leur passion pour Barack Obama. A la fin du discours, tout le monde semble soulagé et fier. Il n’aura prononcé le nom de son rival Mitt Romney qu’une seule fois. « C’est bien, il ne cherche pas à rentrer dans un conflit personnel, comme l’autre », se réjouit Ben, un des leaders des Jeunes Démocrates.
Les étudiants s’intéressant réellement à la politique de leur pays et prêts à s’investir pour elle – parmi lesquels ceux réunis ce soir là – ne sont qu’une poignée parmi les trente mille étudiants qu’accueille l’Université de Morgantown. Les soutiens de Barack Obama se réunissent au sein de l’organisation des Jeunes Démocrates, tous les jeudis de 19h à 20h. Généralement, environ vingt personnes assistent aux réunions hebdomadaires, mais deux cent personnes suivent le compte Facebook des Jeunes Démocrates et reçoivent les mails régulièrement.
Cette année, le recrutement a été plus facile, étant donné l’atmosphère électorale. Les voir sensibiliser les nouveaux venus sur le campus me rappelle les Jeunes Socialistes en France, qui se mobilisaient de la même manière pour soutenir François Hollande. Mais nul doute qu’on se trouve bien en Amérique. Le « fundraising », c »est-à-dire la collecte de fonds auprès de la société civile, est leur action principale pour récolter de l’argent en vue des évènements à venir. Chacun se répartit également les horaires au « call center », dont le concept est simple : on ouvre le bottin au hasard pour faire du « porte-à-porte » téléphonique. Toutefois, beaucoup de travail reste à faire…
West Virginia University est connue pour être l’université la plus festive des Etats-Unis, selon un sondage du Princeton Review Ranking en août dernier. De fait, environ 75% des étudiants de Morgantown ne voteront pas aux prochaines élections, alors même qu’en 2008 47,5% des 18-29 ans avaient voté aux élections présidentielles sur ce campus. Jusqu’à environ 25 ans, soit la fin de ses études, l’étudiant américain type considère la politique comme inutile pour son propre épanouissement. Concrètement, elle ne fait rien pour lui tout de suite.
Pour 2012, l’abstention des jeunes est le principal ennemi de Barack Obama. « Une certaine désillusion plane après le premier mandat du Président des Etats-Unis » constate Samantha, investie chez les Jeunes Démocrates et étudiante en relations internationales. Entre autres choses, « beaucoup de jeunes regrettent qu’il n’ait pas tenu sa promesse de fermer Guantanamo Bay ». Obama ne serait donc pas allé aussi loin que beaucoup de jeunes l’espéraient.
Dans cette campagne électorale, le candidat redouble par conséquent d’efforts pour se réapproprier leur vote, notamment en utilisant les médias sociaux tels que Twitter ou Facebook. La grande nouveauté est l’envoi de mails personnalisés du Président, que l’on peut recevoir après avoir crée un compte sur le site Obama2012. Voici, par exemple, celui que j’ai reçu ce matin : « Demain soir nous sélectionnons les invités pour le dernier repas de ma campagne et j’ai besoin de supporters comme toi (…). Encore merci pour ton soutien… ».