Par Mehdi MAHAMMEDI-BOUZINA et Rémy PICARD
A l »occasion de la 8e édition des Mardis de l »Avenir à l »Assemblée nationale, Mehdi Mahammedi-Bouzina et Rémy Picard s »interrogent sur les clés d »une transition écologique ultramarine réussie. Deux conditions sont indispensables pour que cette transition se fasse efficacement et soit un vecteur de cohésion : des initiatives locales et un appui national.
L’outre-mer ou les outre-mers ? Singulier ou pluriel ? Cette simple question perce à jour la complexité des débats lorsqu’il s’agit de parler de la France d’outre-mer. Les territoires ultramarins sont si éloignés, si différents les uns des autres, qu’il faut se garder de toute analyse globalisante trop simplificatrice. Cependant, il apparait que ces régions connaissent généralement un niveau de pauvreté plus important qu’en métropole, un appareil productif peu développé et un potentiel de développement d’énergie renouvelable important. C’est pourquoi la transition énergétique doit être déterminante pour renforcer l’économie ultramarine.
La France d’outre-mer : un potentiel écologique à exploiter
Il faut avant tout souligner le mauvais accompagnement de l’Etat en matière économique. Les taux de chômage ultramarins et le coût de la vie sont bien supérieurs à ceux de la métropole. Le taux de chômage se situe en effet entre 20 et 30% et ces chiffres s’envolent lorsqu’il s’agit des jeunes et des femmes. L’Etat doit donc créer les conditions de l’émergence de nouveaux relais de croissance et d’activité pour lutter contre le chômage endémique et accélérer le développement économique et social de ces territoires.
Le cas des politiques énergétiques et environnementales est éclairant. Que faire contre l’insécurité de l’approvisionnement, le lourd enjeu des péréquations, les risques climatiques forts, les mix électriques trop carbonés ou encore le manque de réseaux électriques comme en Guyane où 15% des foyers n’ont pas accès à l’électricité ? Réagir, raisonner, cultiver l’inestimable puissance de nos territoires. La France dispose d’un potentiel écologique incomparable avec ceux des autres pays de l’UE (à l’exception peut-être du Royaume-Uni). Grâce aux territoires outre-mer, elle possède le deuxième espace maritime mondial. Citons la Nouvelle-Calédonie : sa biodiversité est considérée comme étant la plus importante de la planète. Les nombreux récifs coralliens sont indispensables aux populations, tant par leur fonction de protection des littoraux, qu’en raison de leur réserve halieutique et touristique. Pour protéger ces espaces et les mettre en valeur, il faut réévaluer les politiques mises en place et engager une politique ambitieuse de transition énergétique.
La transition écologique comme outil de développement économique
Les coûts du système actuel sont amenés à croître. Les territoires outre-mer ont un point commun : la pluralité des ressources exploitables. Ainsi, de manière positive, des projets se mettent d’ores et déjà en place. L’éolien et la géothermie se développent en Martinique et en Guadeloupe, le photovoltaïque à la Réunion, la biomasse en Guyane ou encore l’hydraulique en Polynésie française. L’exploitation des microalgues issues de la biodiversité calédonienne pour la production d’électricité est un bon exemple de la conjugaison entre connaissance et développement.
Plus généralement, le statut de zone non interconnectée doit encourager à l’investissement dans la recherche et l’innovation, la connaissance des territoires et la réflexion sur les financements et le pilotage des politiques énergétiques et environnementales. En promouvant les énergies propres, ces territoires seront moins dépendants des ressources fossiles et du système de péréquations.
La loi sur la transition énergétique : un premier pas positif
Pour mener une bonne démarche de transition énergétique, il apparaît peu opportun d’appliquer uniformément les mêmes schémas directeurs à chacun de ces territoires. Schémas qui seraient par ailleurs décidés unilatéralement depuis Paris. De manière satisfaisante, le texte sur la transition énergétique voté par l’Assemblée nationale le 14 octobre dernier tient compte de ce principe. Le texte fixe des objectifs ambitieux : les DOM doivent atteindre l’autonomie énergétique en 2030. Pour ce faire, la loi pose un jalon principal : 2020. D’ici cette date, 50% de l’énergie consommée par la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion devra être issue de sources d’énergie renouvelable, chiffre qui chute à 30% à Mayotte. Deux grands axes sont envisagés pour atteindre ce but : améliorer la sobriété de la demande et augmenter les capacités de production en énergies renouvelables. La loi permet également aux collectivités ultra-marines de prendre des initiatives, par exemple relatives à la réglementation thermique des bâtiments, pour atteindre cet objectif, signe de la volonté du législateur d’inscrire les collectivités d’outre-mer comme des acteurs majeurs de la transition énergétique. La Martinique et la Guadeloupe bénéficient par ailleurs déjà de l’initiative législative en matière d’énergie.
La transition énergétique : un enjeu pour l’ensemble de la société
Néanmoins, la transition énergétique doit se faire avec l’appui de la population. La France d’outre-mer est économiquement et socialement défavorisée par rapport à la métropole. La population a parfois le sentiment d’être un parent pauvre de notre pays. Il faut donc profiter du défi qu’est la transition écologique comme d’une opportunité pour mobiliser la population autour d’un projet commun. La démocratie participative est l’outil adéquat pour y parvenir.
C’est pourquoi, nous proposons de créer, dans chaque territoire d’outre-mer (DOM, COM ainsi que la Nouvelle-Calédonie) un Conseil de la transition énergétique. Ce dernier devra réunir les élus, mais également les syndicats, le patronat, les associations locales de protection de l’environnement et les décisionnaires locaux de RTE et EDF. Le Conseil de la transition énergétique aura pour mission de mettre en œuvre la transition énergétique dans son territoire de compétence.
Ce Conseil ne devra en aucun cas être un comité Théodule aux contours mal définis mais au contraire un organe de décision, un véritable exécutif local de la transition énergétique. Le principal objectif lié à l’instauration de ce Conseil est d’initier une démarche associative entre les principaux acteurs politiques et économiques locaux. Cette dynamique coopérative préservera l’image de l’écologie qui est parfois perçue comme punitive. Le Conseil légitimera la transition énergétique auprès des populations ultra-marines. En outre, associer les acteurs locaux permettra de répondre au mieux aux problématiques spécifiques à chaque territoire.
La nécessité d’incitatifs forts en provenance de métropole
Même si la transition énergétique en outre-mer doit être largement menée de manière locale, la métropole doit jouer le rôle « d’incitateur de performance ». L’économie de la France d’outre-mer est actuellement largement dépendante des subsides en provenance de métropole. Nous proposons donc de créer un mécanisme d’incitation financier. La métropole modulera l’aide accordée aux territoires ultramarins en fonction de l’efficacité avec laquelle ceux-ci mettent en place la transition énergétique. Il pourrait par exemple être décidé que pour 1 euro de pétrole en moins importé par le territoire, l’Etat accorderait 1 euro d’aide supplémentaire uniquement l’année où cette économie de pétrole est réalisée. Ainsi, la France diminuerait sa facture pétrolière sans grever sur le long terme ses marges de manœuvre budgétaires.
Ce mécanisme devra cependant éviter deux écueils : il devra éventuellement être ajusté pour tenir compte des difficultés locales et se garder de porter l’estocade à des territoires déjà plongés dans les difficultés, et il ne devra pas être un alibi, en ces temps de difficultés budgétaires, pour réduire les dotations envers certaines collectivités.
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Ainsi, la transition écologique doit être l’une des réponses aux difficultés économiques et sociales de la France d’outre-mer. Décentralisation et adhésion de tous les acteurs devront être les deux prismes de la transition. Il s’agit là des deux conditions pour que cette transition se fasse efficacement et soit un vecteur de cohésion, non seulement entre les territoires ultramarins et la métropole, mais également entre les habitants d’un même territoire d’outre-mer. Finalement, en outre-mer comme en métropole, les crises économique, sociale et écologique nécessitent la même réponse : démocratie et transition écologique.