Par Florian BERCAULT
A l »occasion de la 5e édition des à l »Hôtel de Lassay, consacrée au financement de la transition énergétique, Florian BERCAULT propose plusieurs outils inédits pour assurer ce financement sur le court et le long terme.
Investir ou ne pas investir ? Telle est la question que se poseraient les acteurs économiques privés face au défi de la transition énergétique. A contrario, les acteurs publics et les responsables politiques sont persuadés du bien fondé et du besoin urgent de cette transition. Sans nul doute, la puissance publique doit devenir le pivot de la transition énergétique.
A l »heure où les acteurs financiers restent frileux face à des risques qu’ils connaissent mal, au moment où les pays développés courent après la croissance, la troisième révolution industrielle selon Jeremy Rifkin est en marche et n »arrive pas à trouver acquéreur à l »échelle nationale et européenne. Les nouvelles technologies, notamment dans le domaine de l »énergie, constituent une manne incroyable. Il y a eu l »or blanc au Moyen Âge, l »or massif venu d »Amérique et l »or noir de l »Arctique. Nous devons aujourd’hui exploiter et développer l »or vert, une ressource inépuisable. Il faut en être convaincu. L »Eldorado est en Europe. L »Eldorado se crée en ce moment. Reste seulement à aligner les intérêts des différents acteurs, trouver les bons outils de financement et adapter la temporalité.
POUR UNE BANQUE PUBLIQUE DE L »ENERGIE ET UN ROLE ACCRU DE LA BANQUE CENTRALE EUROPEENNE
Une Banque Publique de l’Énergie pour amorcer la transition
Afin de financer des projets énergétiques d’envergure, dont la rentabilité est différée ou qui portent des risques technologiques élevés, une Banque Publique de l’Énergie (BPE) devrait être créée. Cette BPE, en partenariat avec la récente Banque publique d’investissement (la BPI) – voire même hébergée dans ses locaux – aurait pour objectif d »aider au développement de projets énergétiques innovants et d’accompagner la création d »emplois dans ce secteur.
Cette structure ne serait pas simplement une banque ou un incubateur mais également une institution de conseils et d »expertise. Des commissaires à la transition énergétique offriraient un accompagnement technique aux porteurs de projets. Cette BPE, à l »instar de la BPI, bénéficierait d »un réseau régional important. Cette nouvelle institution financière serait le reflet d »une volonté politique forte.
Soutenir le développement des « tiers payant énergétiques »
Lorsqu »un particulier effectue des travaux d »isolation pour son habitat, il investit pour améliorer son confort personnel mais il contribue également au respect de l’environnement. Une meilleure isolation permet de diminuer sa consommation d »énergie et conséquemment sa facture énergétique. Il en va de même, à une plus grande échelle, lorsqu »une entreprise décide d’améliorer son efficacité énergétique, soit en investissant dans des machines qui consomment peu d’énergie, soit en isolant davantage ses locaux. Tous ces investissements engendrent des gains énergétiques importants. Ces gains énergétiques ont un prix.
Le recours au mécanisme de « tiers payant énergétique » permet d »abaisser le coût des travaux et donc de l »investissement initial par l’intégration des gains énergétiques à terme. La Banque Publique de l’Énergie pourrait assurer un rôle de « tiers payant énergétique » en évaluant les gains énergétiques potentiels de chaque projet. Par la suite, de nouveaux produits financiers innovants pourraient être créés, valorisant financièrement les économies d »énergie et la production d »énergie renouvelable.
La Banque Centrale Européenne, émettrice d »euro-obligations vertes (ou euro-green-bonds)
Le financement de la transition énergétique doit aussi se penser à l »échelle européenne. La Banque Centrale Européenne (BCE), institution garante de la stabilité des prix et de la monnaie unique, pourrait voir son champ de compétence élargi. Après une modification de ses statuts, la BCE pourrait se voir confier un nouveau mandat de financement de projets d »infrastructures écologiques sur le territoire européen.
Cette modification statutaire permettrait à la BCE d »émettre des euro-obligations vertes (euro-green-bonds) qui seraient diffusées et proposées, via le réseau des banques commerciales, aux épargnants européens. Ainsi, la recherche et développement, les start-up vertes innovantes ou les centrales écologiques seraient financées en partie par ces euro-obligations vertes.
MOBILISER DAVANTAGE L »EPARGNE POUR FINANCER LES PROJETS ENERGETIQUES
Si la transition énergétique est véritablement la priorité, alors il devient impératif de la démystifier auprès des citoyens et de la promouvoir nationalement. Son financement est l’affaire de tous et non seulement des acteurs financiers. L’épargne privée est une source qu’il est important de mobiliser à travers le placement d’épargne « Livret Vert » calqué sur le Livret A, ou alors via des plateformes de finance participative.
La promotion d’un livret d »épargne vert connu de tous et pour tous
Le secteur bancaire, peu enclin à investir dans des technologies qu’il connaît mal et contraint par des objectifs de rentabilité élevés, ne peut assurer à lui seul le financement de la transition énergétique. Or, la transition énergétique implique des investissements colossaux – en fonds propres et en dette – et corollairement une incertitude technologique et un rendement peu prévisible.
Il appartient donc à la puissance publique de mobiliser l »épargne des Français pour financer la transition énergétique. Le livret développement durable (LDD) est une bonne initiative. C »est un placement d »épargne populaire, non risqué. Cependant, il faudrait aller plus loin dans cette mobilisation de l »épargne, avec des incitations fiscales plus fortes et une communication transparente et lisible. On pourrait renommer le LDD « Livret Vert » ou « Livret Transition Énergétique » et renforcer les critères d’éligibilité des projets que les ressources ainsi collectées pourraient financer. Il est important que l »épargnant ait conscience de l »acte civique qu »il accomplit lorsqu »il dépose son épargne dans ce type de placement. Une campagne nationale de communication et de promotion du « Livret Vert », comme celle qui a été réalisée pour le livret A, devrait être lancée.
Le financement participatif : un nouvel outil citoyen
Le financement participatif, appelé également « crowdfunding », peut être une nouvelle manière d »impliquer les citoyens dans les projets œuvrant à la transition énergétique. Le concept de crowdfunding, développé en dehors du secteur bancaire, permet à l »épargnant d »investir directement dans un projet qu »il juge innovant ou écologique. Le seul intermédiaire est la plate-forme en ligne qui présente les différents projets et assure du sérieux desdits projets. Différents types de crowdfunding son répertoriés à ce jour : le don avec ou sans contrepartie, le prêt ou encore le financement participatif en capital. Ce sont les deux derniers types de financement participatif qui nous intéressent particulièrement.
Le crowdfunding, outil de cofinancement de projets, permet de lever des fonds et de flécher en toute transparence l’investissement. L »outil rapproche l »investisseur du porteur de projet, offrant parfois une possibilité d »interaction entre les deux. L »investisseur peut suivre concrètement et directement le projet financé. Dans le cadre de la transition énergétique, nous pourrions imaginer la création de plates-formes ad hoc soutenant par exemple une coopérative bio financée par les consommateurs, la construction d »une industrie locale non polluante financée par les riverains ou encore de l »énergie verte labellisée locale. La finance participative est un levier pour sensibiliser et engager tous les citoyens dans la transition énergétique au niveau local. Les institutions de crédit pourraient également jouer à terme un rôle dans ce nouveau mode de financement en labellisant les plates-formes et en se portant garant de certains grands projets.
INTEGRER VERITABLEMENT LE MONDE FINANCIER À CETTE TRANSITION ENERGETIQUE
Pour la création d »une agence publique de notation des produits financiers « verts »
Fortement critiquées ces derniers temps, les agences de notation financière ne font plus recette aux yeux de l »opinion publique. Cependant, ces acteurs financiers ont un rôle important de diffusion de l »information et d‘évaluation de certains produits financiers. Il serait donc intéressant de prendre à contre-pied les critiques et d’instaurer une agence publique européenne de notation des produits financiers « verts ».
Cette agence indépendante du pouvoir politique et financier aurait un rôle de promotion des produits financiers ayant des impacts positifs sur l »environnement. Des critères d’évaluation écologiques et sociaux seraient établis. Ainsi, les projets de transition énergétique pourraient plus aisément et à moindre coût trouver des financeurs.
Relancer le marché carbone et développer une fiscalité verte incitative et lisible
La transition énergétique ne peut être effective sans une mobilisation forte de tous les mécanismes pouvant la rendre réelle. Le marché carbone, système d »échange de quotas d »émission de gaz à effet de serre, est un outil qui est intéressant. Cependant, avec l’effondrement des prix du charbon, le marché carbone est déstabilisé et n »opère plus de manière optimale. Il est nécessaire de relancer ce marché et de récompenser les comportements vertueux.
Par ailleurs, la puissance publique, grâce à la fiscalité, oriente les comportements. L’outil fiscal est aujourd’hui sous-estimé. La fiscalité verte en France est très complexe ; les taxes – la dernière en date est la contribution climat-énergie – sont multiples. Il serait pertinent de remettre à plat toutes ces taxes et niches fiscales pour que tant les entreprises que les particuliers puissent s »y retrouver durablement.
* *
*
La transition énergétique a pour but de passer d »un monde énergivore et polluant à un monde raisonné où l »énergie est une ressource renouvelable inépuisable. Pour rendre possible ce passage d »un monde à l »autre, d »un modèle économique à un autre, les pouvoirs publics nationaux et européens doivent jouer leur rôle de « catalyseurs ».
De même, la temporalité doit être repensée. S »il est urgent de financer la transition énergétique aujourd »hui en payant un surcoût, c »est pour en tirer des bénéfices demain, et éviter d’avoir à payer après-demain une facture qui ne sera pas seulement financière. Il est impératif de redonner un prix au temps. N »attendons pas un choc brutal, changeons durablement dès à présent !